En ces temps de régression sociale, de dégradation des services publics et d’inquiétude politique, il est bon de mettre en lumière les victoires dues à nos luttes, celles qui montrent que, oui, on peut encore gagner ! Ça se passe dans la petite commune Lot-et-Garonnaise du Mas d’Agenais, qui avait perdu ses deux médecins généralistes depuis 2021. En octobre dernier, une solution a enfin pu être trouvée, grâce à l’action conjuguée des usagers et des professionnels de santé réunis dans un « Collectif contre le désert médical du Mas », collectif dans lequel une retraitée du SNES-FSU a joué un rôle moteur. Pendant trois ans, ce collectif a organisé des manifestations et frappé à toutes les portes : Communauté de Communes, Agglo, Conseil Départemental, ARS et même… cabinet d’Emmanuel Macron !
Marie-Claude, peux-tu nous résumer les grandes étapes de votre action ?
Quand en novembre 2021 nous avons appris que le médecin généraliste partant à la retraite ne serait pas remplacé, avec des habitants et des professionnels de santé du Mas et des communes environnantes (Calonges , Sénestis et Lagruère), nous avons lancé une pétition pour dénoncer la désertification médicale, réclamant la venue de deux médecins au Mas. Ça a été le point de départ du Collectif et, portée par cette dynamique unitaire, la pétition a rapidement dépassé les 1400 signatures. Il faut dire que le recours aux médecins des communes voisines, comme Tonneins, s’avérait impossible, ceux-ci étant déjà saturés.
Nous avons alors obtenu une visio-conférence avec l’ARS, puis organisé une réunion publique, début 2022, afin d’échanger avec les habitants sur ce qu’on nous proposait (télé-consultation et éventuellement médico-bus), pseudo-solutions qui ne nous ont pas satisfaits. Nous avons présenté une autre possibilité, celle d’un « Centre de Santé » sur le modèle de ce qui se fait à Tonneins, exemple proche de la médecine salariée. Et nous avons décidé de continuer à nous battre dans ce sens.
Après plusieurs démarches infructueuses, fin 2022, nous avons organisé devant la « Maison de santé » du Mas, une nouvelle manifestation réclamant l’augmentation du nombre de médecins formés, l’aide de l’Etat à la création de Centres de Santé et l’accès aux soins pour tous avec la venue de deux médecins au Mas.
Nous avons à cette occasion noué des liens avec l’association « Accès aux soins » qui se bat pour le service des urgences de l’hôpital de Marmande et a obtenu la création d’une « Maison de Garde ».
Le 6 novembre 2023, le Président de la République venait à Tonneins pour inaugurer une nouvelle gendarmerie : nous nous sommes joints à la manifestation organisée par « Accès aux soins » et nous avons obtenu une visioconférence avec la chargée des questions de santé auprès d’E. Macron, en présence de l’ARS.
Nous avons exposé les problèmes découlant du manque de médecins pour les habitants du Mas et des villages voisins, ainsi que pour les résidents de l’EHPAD public. Elle s’est engagée à suivre de près la question du remplacement du médecin coordonnateur de l’EHPAD qui partait à la retraite en juin 2024, et il a effectivement été remplacé. Mais aucune autre solution n’a été proposée pour les habitants du Mas, dont certains ne se soignent plus du tout ?!
C’est pourquoi, fin 2023, nous avons contacté l’association « Médecins Solidaires » et fait acte de candidature pour bénéficier de son aide. La situation sanitaire du Mas et l’existence d’une Maison de Santé ont été pris en compte et l’association a décidé l’installation d’une antenne au Mas.
Cette solution consiste à faire intervenir « Médecins Solidaires » pour assurer la présence sur place d’un médecin 50 semaines par an, mais un médecin qui change toutes les semaines. Que penses-tu de ce projet ?
L’association « Médecins Solidaires » a déjà ouvert plusieurs Centres de Santé dans plusieurs départements touchés par la désertification médicale, dont le premier en Creuse. Elle a donc une solide expérience dans ce domaine.
Le changement de médecin chaque semaine ne pose pas problème a priori, car les dossiers des patients sont tenus à jour par les personnels de secrétariat (à la charge de la commune) qui font le lien. Il permet aussi une approche qui peut être différente et intéressante d’après les témoignages recueillis auprès de patients des premiers centres de santé de « Médecins Solidaires ».
Ce sont tous des médecins volontaires, salariés, libéraux ou retraités, qui donnent aux déserts médicaux 1 semaine de travail rémunérée 1000€ pour 42h de soins, avec des consultations de 20 minutes. De plus, « Médecins solidaires » nous associe au Comité de Pilotage du projet.
Qu’en est-il aujourd’hui du fonctionnement problématique de l’EHPAD public du Mas ?
Il souffre à la fois d’un manque de temps médical et de locaux vétustes, et nous sommes souvent intervenus sur ces questions auprès de l’ARS. Or on vient d’apprendre que le dossier de rénovation des locaux a enfin été accepté ! Comme personnel soignant, il y a des aides-soignantes, et désormais 1 infirmière en plus du médecin coordonnateur, mais cela ne suffit pas : deux postes d’infirmières restent à pourvoir. L’arrivée de « Médecins Solidaires » pourra peut-être aider.
Ce recours à une association de type humanitaire pour suppléer l’indigence de notre Service Public n’est pas forcément généralisable et donne à réfléchir. Selon toi, quelles réformes de fond les pouvoirs publics devraient-ils engager pour trouver une solution pérenne au manque de médecins qui génère de plus en plus de déserts médicaux en France ?
- D’abord recruter et former davantage de médecins ! Malgré la suppression du « numerus clausus », l’Etat continue de réduire drastiquement le nombre d’étudiants reçus en fin de première année au nom de la capacité d’accueil des Universités et centres de formation. Si bien que le nombre effectif de médecins formés reste très en-deçà des besoins chiffrés par l’ARS !
- Il faudrait aussi que l’Etat aide à la création de « Centres de Santé », car la médecine salariée et le travail en équipe pluridisciplinaire attirent les jeunes médecins, notamment par un horaire hebdomadaire plus réduit que dans l’exercice libéral et par l’aide au travail administratif qui aujourd’hui plombe l’activité médicale.
- Il faudrait aussi renflouer les hôpitaux de proximité aussi bien en termes d’équipements que de moyens humains (médecins, infirmières etc.).
- Et enfin que les initiatives comme celles de « Médecins Solidaires » soient encouragées par l’État.
Évidemment, tout cela suppose des investissements importants dans le Service Public de Santé, mais si on ne les fait pas maintenant, nous courons à la catastrophe sanitaire !
Merci Marie-Claude ! L’exemple de ce combat réussi montre aussi l’implication et l’efficacité des militant
es retraité es du SNES-FSU dans notre société !Propos recueillis par Geneviève Cathala