Le Léviathan-Pronote s’est désormais imposé à toute notre vie professionnelle de l’école primaire (version lancée à la rentrée 2021) jusqu’à l’enseignement supérieur et à la formation continue (avec Hyperplanning).
Alors que certains nous vantent l’inéluctable concurrence libre et non faussée, la réalité économique renvoie à la domination d’entreprises oligopolistiques ou monopolistiques comme l’est devenu Pronote. Ce logiciel équipe actuellement près de 70 % des collèges et des lycées français.
La société Index Education, sa créatrice en 1999, a dû être nationalisée, en décembre 2020, après le rapport de la Cour des Comptes (2019) qui alertait sur les risques liés à la détention, par une entreprise privée, de l’intégralité des données scolaires des élèves du second degré en France. Il s’inquiétait aussi des menaces de traitements croisés de données notamment pour du profilage ou de rachat par une entreprise étrangère comme celles des GAFAM.
C’est donc Docaposte, une filiale numérique du groupe La Poste qui est devenu le premier hébergeur de données scolaires en France et le premier fournisseur de logiciels liés à l’enseignement avec plus de 16 millions d’utilisateurs.
Pronote a réussi, en une vingtaine d’années, à devenir le collecteur et l’agrégateur de métadonnées de l’Education Nationale mais aussi, de plus en plus, un prescripteur professionnel et pédagogique.
Pourtant qui parmi nous aurait accepté de voir tous ses résultats et évaluations scolaires (notes, maîtrise du socle au collège et des capacités au lycée, LSU…), son comportement (retards, absences, heures de colle, appréciations des bulletins…) et sa santé (PAI) réunis en un seul fichier numérique ?
C’est le directeur de l’établissement qui est responsable de ces données conservées dans la base Pronote. Elles se situent dans un serveur qui peut être localisé dans le collège ou le lycée mais aussi dans un centre de données extérieur, sur des serveurs Amazon par exemple.
Il est intéressant de constater dans la politique de confidentialité que des « traitements automatisés de données nominatives sont réalisées » et qu’Index Education « utilise le service tiers de Google Analytics » pour analyser les comportements des utilisateurs de Pronote et faire des profilages comportementaux (anonymes). Même nationalisée Index Education continue donc d’enrichir Google.
Le passage sur le partage des contenus, dans les mentions légales, est encore plus inquiétant :
« Si vous partagez des Média sur nos sites internet, vous concédez à INDEX ÉDUCATION le droit non exclusif de procéder à toute utilisation, reproduction et diffusion de ces Média, en tout ou partie, à tout ou partie du public et sur tout support. […]
Les autorisations citées sont concédées à titre gracieux, n’ouvrant pas droit à redevance, pour le monde entier, et pour la durée de mise en ligne des Média sur nos sites internet. Les autorisations n’ont aucun préjudice sur les droits de propriété intellectuelle de ces contenus, qui appartiennent à leurs ayants-droits respectifs. »
Ainsi nous travaillons gratuitement pour constituer une banque de données pédagogiques personnelles qu’Index Education peut piller et exploiter à sa guise.
La centralisation des feuilles d’appel, des notes, des bulletins, des coordonnées de nos élèves et de leur famille, de leur photographie, du cahier de texte numérique… peut être vue comme un gain de temps notamment pour la vie scolaire notamment pour la gestion quasi-instantanée des retards et des absences.
C’est simple, pratique, efficace de tout trouver au même endroit.
Dans notre société de la surveillance et de la performance, notre hiérarchie se réjouit aussi de pouvoir épier en temps réel notre travail et établir des statistiques sur toutes nos activités professionnelles (moments et durées de connexion, résultats de nos élèves comparés aux autres enseignants, contenus des cours, des activités et des devoirs faits en classe à travers le cahier de texte et les pièces-jointes qu’il faudrait y mettre…). Au nom de la facilité, quelle part de notre liberté acceptons-nous de sacrifier ?
Il n’est plus possible désormais de déplacer un cours seul puisque nous ne pouvons pas modifier personnellement les emplois du temps sur Pronote.
Ce logiciel fermé, à la seule main des chefs d’établissement, reflète bien les hiérarchies et participe aussi de cette volonté de nous transformer en simple exécutant.
Pronote a tendance à se substituer à notre messagerie professionnelle et les chefs d’établissement d’en faire un outil de management contraignant. N’oublions pas qu’ils peuvent y lire tous les messages publiés.
A l’inverse, « Comment vous n’avez pas lu le message que je vous ai envoyé hier soir sur Pronote ? » tend à devenir la rengaine de certains principaux ou proviseurs.
Le logiciel renvoie ainsi à l’ambivalence de l’instantanéité des outils numériques.
Au lieu d’être à notre service, ils tendent à nous asservir notamment à la tyrannie de l’immédiateté.
Par exemple, nous devrions, en même temps que nous faisons cours, lire et répondre à la messagerie intégrée du logiciel sur laquelle peuvent intervenir tous les membres de la communauté éducative de l’établissement, les élèves et leur famille…
Il existe dorénavant dans l’onglet « Paramètres » une entrée « Droit à la déconnexion » qui permet de régler les jours et les horaires de réception des messages.
Il n’empêche pas les autres de nous écrire et de considérer que notre prompte réponse est un dû.
Cette messagerie, et la veille permanente qu’elle induit, participent abondamment à l’augmentation du temps et de la charge de travail engendrée par tout ce qu’il faut renseigner sur Pronote.
On peut dénoncer enfin les velléités prescriptives et le conformisme pédagogique que permettent ce logiciel. En collège, il a ainsi participé à l’offensive de l’évaluation « par compétences » permettant de décerner des guirlandes de pastilles rouges, jaunes et vertes aux élèves (qui peuvent être maintenant remplacées par des lettres) avec un algorithme opaque.
Il faut donc lutter contre les menaces de dépossession professionnelle et de déshumanisation de la machinerie tayloriste Pronote qui conduit à modifier nos pratiques pédagogiques en la segmentant en autant d’onglets que de cases à cocher.
Il faut résister aussi vis-à-vis des élèves et de leur famille lorsque Pronote peut nous transformer en prestataires de service redevables tout de suite et tout le temps.
L’esprit critique et la vigilance s’imposent donc pour que ce logiciel reste seulement un outil pratique… notamment pour remplir ses bulletins à 23 heures en vacances à Ibiza !
9 mai 2022